mercredi 27 juillet 2016

Bottle Shock (2008)


Il est des acteurs dont la disparition soudaine laisse un grand vide. Quand il est décédé il y a quelques mois, je me suis rendu compte à quel point Alan Rickman avait marqué mon paysage cinéphilique, tout en discrétion et en élégance. J'ai également réalisé que nombre de ses films étaient passés sous mon radar, comme on dit. Parmi ceux-ci, "Bottle Shock", qui n'eut même pas l'heur de sortir sur les écrans français, alors qu'il évoquait un sujet ô combien hexagonal : le vin.

Années 1970, Paris : alors que, depuis toujours, tous les amateurs de vin ne jurent que par les millésimes français, il se chuchote qu'en Californie, des viticulteurs oseraient se lancer dans l'aventure vinicole. Steven Spurrier, œnologue britannique installé en France, est intrigué et décide de se rendre sur place. D'abord méfiant, il va découvrir ces aventuriers du vin et devoir se rendre à l'évidence ; le vin californien vaut bien celui de France, si ce n'est plus.

Inspiré par des faits réels et en particulier par le célèbre (chez les œnologues) jugement de Paris, qui affirma la très grande qualité des vins californiens, "Bottle Shock", réalisé par Randall Miller (n'ayant jusque là réalisé que des films tombés dans l'oubli), a au moins le mérite de se pencher sur un thème original. Bien entendu, afin de rendre ce sujet plus cinématographique, il y utilise de grosses ficelles (l'affrontement père-fils, la rivalité amoureuse entre deux amis, par exemple).

Cependant, très vite, on se rend compte que le scénario est bien maigre et qu'il va falloir pas mal de remplissage à Randall Miller pour faire de tout cela un film. On ne va pas se mentir : "Bottle Shock", sans être une infâme piquette, n'est pas un grand cru et n'a rien d'inoubliable, que ce soit sur son fond, ou sur sa forme.

C'est un monde très idéalisé que nous présente "Bottle Shock", voire un empilage de clichés. A l'en croire, tous les français de cette époque roulaient autour de la tour Eiffel, en 2CV, tandis que la Californie était perpétuellement baignée d'un soleil rendant magnifique le premier paysage venu. Si on ajoute à cela une réalisation forçant ses effets à la façon d'un spot publicitaire, le cinéphile pourra légitimement s'agacer.

Du côté de l'interprétation, le bilan est plus que mitigé : si Alan Rickman est impérial, comme on pouvait s'y attendre, il est difficile d'en dire autant de Chris Pine, assez peu crédible en jeune vigneron californien (portant perruque). Plus en retenue, le trop rare Bill Pullman impose sa présence dans chaque scène où il apparaît, tandis que les jeunes acteurs qui l'entourent font de leur mieux. Je songe notamment à la rafraîchissante Rachael Taylor ou à Freddy Rodriguez. On notera également le petit rôle de Dennis Farina, en grande forme.

Alors, au final, "Bottle Shock" n'a rien d’enivrant, mais la seule présence du grand et regretté Alan Rickman donne un peu de saveur à ce film (même si on aurait aimé qu'il y soit plus présent).


vendredi 22 juillet 2016

Jamais entre amis (2015)



Au regard de l'affiche, "Jamais entre amis" ressemble énormément à la comédie américaine type du moment : outrancière et prête à tout pour faire rire son spectateur, quitte à y aller fort (et à taper en dessous de la ceinture). Mais, comme il ne faut pas juger un livre d'après sa couverture, et que je n'aime pas rester fâché avec un style de cinéma, j'ai cédé et décidé de visionner cette comédie que je devinais romantique. Il faut dire que le petit logo "Sundance" en haut de la dite affiche plaidait en sa faveur. Le cinéma indépendant américain, dont ce festival s'est fait la grand messe, a souvent été source de jolies surprises. 

Ayant perdu leur virginité ensemble au lycée, Lainey et Jake se retrouvent par hasard, dix ans plus tard à New York, et constatent qu'ils sont tous les deux totalement incapables d'être fidèles. Ils décident d'affronter ensemble ce problème, en s'engageant dans une relation purement amicale, d'où le sexe est totalement exclu. 
N'ayant l'un pour l'autre aucun secret, ils se rendent compte que tous deux sont en quête de l'amour, le vrai.


J'avais quelques craintes en lisant le résumé du film, parce qu'à en croire la mode actuelle, le cinéma américain, avec pareil sujet, aurait plutôt tendance à produire une comédie grassouillette et molle du bide. Cette légitime appréhension fut dissipée assez rapidement : c'est le verbe qui est roi, dans cette comédie. Le scénario est servi par des dialogues souvent percutants, et n'a pas besoin de créer des situations abracadabrantes pour faire sourire, voire rire. 

Sans doute, la présence derrière la caméra d'une réalisatrice, Leslye Headland, n'est pas pour rien dans ce constat, mais c'est en grande partie grâce à ses deux interprètes principaux, Jason Sudeikis et Alison Brie, que "Jamais entre amis" (alias "Sleepin with other people" dans la langue de Judd Apatow) tient la route avec un capital sympathie qu'on s'étonne de lui trouver. Le premier fait montre d'un abattage redoutable, tandis que la seconde révèle de multiples facettes, entre fragilité et talent burlesque. 
Malgré quelques séquences dispensables, la comédie romantique ancrée dans son époque que nous propose Leslye Headland est souvent fraîche et réussit à maintenir son rythme jusqu'à la fin (certes, éminemment prévisible). Peu de productions de ce registre peuvent se targuer d'y parvenir.


Finalement, et en grande partie parce qu'il évite de sombrer dans le travers actuel de la comédie américaine, "Jamais entre amis" est plus plaisant qu'on ne pouvait le croire, au regard de son affiche. S'il n'évite pas toujours l'outrance, il n'en fait pas un moteur : le résultat est au-dessus de la moyenne habituelle. C'est déjà ça de pris.


vendredi 15 juillet 2016

Panic sur Florida Beach (1993)

La publication de cet article était programmée de longue date, été oblige. 
En ces jours dramatiques, mes pensées vont naturellement aux victimes de l'odieux attentat de Nice.
Peace.



Un récent article de ce blog m'a permis de me pencher sur le destin malheureux d'un des grands cinéastes américains condamné, semble-t-il, à ne plus voir ses films sortir dans les salles obscures. Le cas précis de Joe Dante, le créateur des célèbres Gremlins, est exemplaire : ses derniers films, quand ils sortent en salles, le font dans l'indifférence générale. On cite souvent "Panic sur Florida Beach" comme un de ses films les plus injustement méprisés. Il était temps que ce film ait droit à un article sur ce blog. 


1962. Alors que les Etats-Unis tremblent (et le monde avec eux) devant la menace nucléaire brandie à Cuba par les Russes, à Key West, petite bourgade de Floride, c'est la future projection de "Mant !", le dernier film de Lawrence Woosley qui fait des vagues. 
Entre les amateurs de cinéma fantastique et des folies créatrices du réalisateur, et ses détracteurs, le débat prend des tours parfois violents.  


Encore une fois, comme dans "Gremlins" ou le récent "Burying the ex", Joe Dante s'attarde sur le sort de héros marginaux, de ceux qui ne sont pas dans l'équipe de football du lycée, mais s'intéressent au fantastique. Son héros, Gene Loomis, dont le père, militaire, est en première ligne d'une guerre atomique annoncée, a sans doute beaucoup en commun avec le jeune homme que fut Joe Dante. De même, le Woosley, sorte de Hitchcock de la série B s'inspire des mentors du réalisateurs (William Castle en tête). Mais cet hommage au cinéma en général et au cinéma fantastique en particulier n'est pas qu'un alignement de clins d’œil et de révérences respectueuses. C'est aussi un film digne de ce nom (c'est-à-dire que Dante narre une histoire sans prendre ses spectateurs pour des imbéciles, et qu'il le fait avec un véritable talent) qui se paie le luxe de contenir pas mal de trouvailles intelligentes. 

Utilisant la reconstitution et la mise en abyme, c'est d'une époque pas si éloignée que Dante parle, avec "Panic sur Florida Beach" (qui pourrait postuler au prix du titre le plus mal traduit, ou peu s'en faut). L'atmosphère de l'année 1962, où peurs de l'atome et du communisme se mêlaient dans les esprits, est remarquablement mis en scène.  Joe Dante livre ici l'un de ses plus jolis films, entre frissons et émotions, et en profite au passage pour égratigner la bien-pensance hypocrite des années 60, et célébrer avec malice le cinéma fantastique, qui sut parler avec tant d'intelligence des périls de cet époque. 

On saluera également la prestation des jeunes acteurs et celle, impériale, de John Goodman (qui fut rarement aussi bon), en maître du cinéma de genre, inventeur de procédés pas si éloignés de ce qu'on nous vend aujourd'hui comme des innovations majeures. Par contre, une nouvelle fois, il reste à déplorer la VF, assez médiocre et, surtout, le titre français, qui traduit "Matinee" en "Panic à Florida Beach" (ce qui, en plus de ne ressembler à rien, écorche la langue française). Qu'un film aussi pertinent ait connu pareil sort 
Messieurs les distributeurs, vous devriez avoir honte.



dimanche 10 juillet 2016

Dune (1984)


Inadaptable, c'est un qualificatif qui revient souvent au sujet d’œuvres littéraires complexes, dont le passage au grand écran laisse augurer un ratage. Souvent attendu à la sortie par les admirateurs de l'œuvre originelle, le film qui en découle cause souvent des cris d'orfraie et plus rarement l'enthousiasme. Pour un "Fight club", combien de "L'écume des jours" ? "Dune", monumental cycle de science-fiction, fut en son temps adapté au cinéma par David Lynch, après avoir été envisagé (entre autres) par Alejandro Jodorowski. Produit par l'immense (à l'époque) Dino de Laurentiis, le film fut un bide monumental et est aujourd'hui regardé comme une curiosité kitsch. 

En l'an 10491 après la Guilde, l’Épice est la substance au centre de toutes les convoitises, et est produite sur la seule planète Arrakis, aussi appelée Dune par ses natifs. L'Empereur choisit de confier cette planète au Duc Atréides, qui vient s'y installer avec sa concubine Jessica et son fils Paul. La maison rivale, celle des Harkonnen, décide, avec le soutien de l'Empereur, de s'emparer du nouveau fief des Atréides. Paul et sa mère échappent au massacre et sont recueillis par les Fremen, la peuplade vivant dans les déserts de Dune. Et si Paul était l'Elu tant attendu, celui par lequel le destin de l'univers sera changé ?

Les romans de Frank Herbert ont profondément marqué leurs lecteurs, tant l'univers décrit y est structuré, complexe et empli de sens. Traduire pareille épaisseur dans un film de deux heures était une gageure. Quand il récupéra les droits de "Dune", Dino de Laurentiis, sur l'insistance de sa fille, subjuguée par le récent "Elephant Man", en confia l'adaptation au jeune David Lynch. L'éprouvant périple qui commença avec l'écriture du scénario ne se termina qu'à la sortie du film (et encore !). Faute de budget, les effets spéciaux furent à peine terminés et semblent bien bâcles à l'écran (en comparaison de ceux de films contemporains, comme 'Le retour du Jedi"). Le montage initial proposé par Lynch, long de quatre heures, dut être revu une première fois (donnant un film de trois heures), puis encore une fois sur l'insistance des producteurs. Au final, ce que Lynch qualifie encore aujourd'hui de son pire film fut un bide retentissant et compromit fortement l'avenir de Dino de Laurentiis (la suite de "Conan le destructeur" passa aux oubliettes, par exemple).

"Dune" méritait-t-il son sort ? On ne va pas se mentir, comme disait l'autre : cette adaptation est ratée. Malgré des moyens substantiels mis à sa disposition, Lynch ne produit ici qu'un capharnaüm de luxe, incompréhensible pour ceux qui ne connaissent pas l'univers des romans, et paraissant trahir ceux-ci aux yeux des lecteurs. La faute en revient essentiellement au scénario déjà rempli d'ellipses et de répétitions (un comble !) et à un montage fait en dépit du bon sens (on ne remerciera jamais assez les productions de mettre leur nez dans cette étape). Il est, par contre difficile d'accabler l'aspect esthétique du film, qui s'efforce de donner à l'univers de "Dune" une couleur unique, proche de ce qu'ont pu ressentir les lecteurs du matériau originel.

On pourra également apprécier un casting de luxe, même si tous les acteurs ne semblent pas persuadés du bien-fondé de l'entreprise à laquelle ils participent. Ajoutons à cela une version française calamiteuse (et là, on peut une nouvelle fois pointer le manque de professionnalisme des producteurs). Parfait exemple d'adaptation faite en dépit du bon sens et sans l'ambition nécessaire à l'ampleur de l'entreprise, ce film est un objet maudit, mal aimé, mais cependant difficile à défendre. Les autres transpositions de "Dune", qu'elles soient télévisuelles, vidéo-ludiques et j'en passe, méritent plus l'attention des admirateurs de Frank Herbert. 







mardi 5 juillet 2016

Encore heureux (2016)


Nous vivons, paraît-il, une époque formidable. Il faudra en convaincre celles et ceux pour qui la vie quotidienne est synonyme de galère. Le cinéma, en média actuel qu'il sait être, a conté plus d'une fois la vie de gens qui chutent, parce que le monde ne veut plus d'eux. Spécialité britannique, la comédie sociale a connu quelques tentatives, pas toujours heureuses, de notre côté de la Manche. Malgré la présence à l'affiche de Sandrine Kiberlain et d'Edouard Baer, malgré sa promesse de feel good movie, "Encore heureux", sorti en ce début d'année, n'a pas fait le bonheur de ses producteurs...

Marie s'interroge sur sa vie. Sam, son rêveur de mari, depuis qu'il a perdu son poste de cadre supérieur, est devenu un ours misanthrope vivant dans la tente plantée au milieu du salon. Elle est obligée de voler dans les magasins, avec la complicité de ses deux enfants, pour nourrir sa famille. Sa mère survit tant bien que mal dans une maison de retraite dont elle aimerait la sortir. Et il y a cet homme visiblement épris d'elle, que Marie est bien tentée de suivre...

Partant d'un postulat de base que nombre de cinéastes auraient traité sous la forme d'un drame, Benoît Graffin (remarqué pour ses scénarios et dont "Encore heureux" est le troisième long métrage en tant que réalisateur) entraîne Marie et sa petite famille dans une fable où la morale et le réalisme prennent quelques coups. Pour la première, rien de grave : on a vu d'excellents films qui torpillaient joyeusement les convenances et "Encore heureux", de ce point de vue, peut se targuer de marquer quelques points de ce côté-là. Par contre, en ce qui concerne la crédibilité de toute cette histoire, il est permis de tiquer : en solidifiant un peu plus son scénario (auquel participèrent également Mila Tard, Déborah Saïag et Nicolas Bedos), Benoît Graffin aurait pu faire de ce film une comédie sociale toute en acidité, bien plus réussie qu'elle ne l'est finalement. 

En choisissant la voie de l'improbable pour se dérouler, jusqu'à sa résolution et tordant gentiment le cou aux convenances, "Encore heureux" ne se soucie guère de la vraisemblance, au point qu'on renonce à croire à ce qui arrive à ses protagonistes. Ajoutons à cela une réalisation souvent pataude, insistant souvent lourdement alors qu'un brin de finesse aurait donné au film une légèreté bienvenue. 

Heureusement, il y a les acteurs, à commencer par la sublime Sandrine Kiberlain, qui sauve à elle seule le film de la banalité et irradie de sa présence chaque scène où elle apparaît. Face à elle, Edouard Baer donne vie avec un vrai talent à son personnage d'homme déchu, mais finalement toujours debout. On donnera, une fois n'est pas coutume, une mention spéciale aux jeunes Carla Besnaïnou et Mathieu Torloting, qui incarnent les deux enfants du couple avec un vrai naturel, ainsi qu'à Bulle Ogier et à Benjamin Biolay. Une fois encore, ce sont donc les acteurs qui sont le plus bel atout du film. 

Malgré un postulat de base intéressant, "Encore heureux" ne réussit pas, faute de mordant, à être la comédie sociale, ni le feel good movie qu'on aurait pu attendre. Les interprètes (servis par des dialogues souvent percutants et efficaces) sont le meilleur atout du film et méritent à eux seuls son visionnage. Cependant, il y a fort à parier qu'il ne marque pas les mémoires.